"This is an historic day ! We welcome Finland as a new member of our alliance !"
Jens Stolenberg, secrétaire général de l'OTAN, 4 avril 2023
Ce mardi 4 avril, à Bruxelles, des militaires ont hissé le drapeau finlandais parmi les autres drapeaux des pays de l'OTAN (si vous ne savez pas ce que c'est, je vous renvoie vers l'encadré de fin d'article) entre les étendards français et estoniens.
Après 30 ans de non-alignement militaire et d'une neutralité à toute épreuve visant à ne pas se faire détruire par leur énorme voisin russe, la Finlande prend enfin parti. Après avoir participé à l'armement ukrainien, elle se joint à l'OTAN le 4 avril 2023 en réalisant le record de l'adhésion la plus rapidement réalisée. Il faut dire que si cela avait été plus lent, Helsinki y aurait peut-être laissé un morceau...
Les avantages de cette adhésion pour la Finlande
Pour la Finlande, c'est bien sûr la menace russe qui motive l'adhésion : depuis 2014, l'invasion de la Crimée effraie les Finlandais, et vu ce que Kiev subit depuis le 24 février 2022, on peut les comprendre. De plus, la Finlande ayant été dans le passé, exactement comme l'Ukraine, un bout de l'URSS, on peut craindre que Poutine essaierait un jour de prendre le pays... La Finlande s'est donc rapprochée peu à peu de l'OTAN - sans toutefois y adhérer.
Mais depuis le début de la guerre en Ukraine, la Finlande envoie des armes... Et a plutôt peur des représailles du Kremlin. Elle s'est finalement décidée à choisir un camp, et s'est alliée avec l'Alliance atlantique malgré les menaces russes. Grâce à son adhésion, elle est protégée par tous les autres pays de l'alliance, car selon l'article 5 du Traité de l'OTAN ; "toute attaque contre un membre sera considérée comme une attaque contre tous ses membres".
Cette peur scandinave semble être confirmée par la réaction du dirigeant russe : perçue comme un danger par le Kremlin, son "président" nous annonce qu'"il va y avoir des tensions" (sans blague), que cela est "évident et inévitable", et que la Russie se verra bientôt "contrainte de prendre des mesures". Comme si ce n'était pas déjà le cas.
De plus, les Finlandais gardent un souvenir marquant de la Seconde guerre mondiale, et de la "Guerre d'Hiver" (connue surtout grâce au célèbre tireur d'élite Simo Häyhä, alias la Mort Blanche) durant laquelle près de 80000 finlandais ont trouvé la mort en résistant contre l'invasion russe de 1939 à 1940 . On comprend qu'ils ne tiennent absolument pas à ce que cela recommence.
La décision de joindre l'OTAN, contrairement à toutes les mesures prises jusque là dans le but d'éviter de contrarier le voisin, a été votée à 62% de voix. Cependant, cette adhésion pourrait aussi être contre-productive, vu le nombre et l'importance des interactions russo-finlandaises et l'énorme communauté russophone en Finlande. Enfin, le même problème, plus fort encore, que pour l'Allemagne se pose. Le gaz. 97% de cette ressource importée par Helsinki vient de Russie... Si les Finlandais choisissent de se joindre à l'OTAN, ils vont devoir apprendre à vivre dans le froid ou trouver d'autres approvisionnements...
Et pour l'Alliance ?
L'OTAN tire également parti de cette adhésion. Tout d'abord, l'adhésion de l'armée finlandaise, une des seules dont les forces militaires ne se sont pas décomposées ni après 1945, ni à la fin de la Guerre Froide en 1991, enrichit l'Alliance de troupes nombreuses : une armée d'élite, formée à résister au froid et à la neige, et à combattre dans les monts enneigés du Nord, 300 000 soldats entraînés, plus 800 000 réservistes et 1500 pièces d'artillerie... Soit trois fois plus que les effectifs de la France.
Ensuite, l'Alliance transatlantique se devait d'accueillir la Finlande dans ses rangs vu le nombre élevé de missions communes avec elle. En fait, si l'entrée de la Finlande a été aussi rapide, c'est surtout grâce aux interactions passées avec l'Alliance.
De plus, l'OTAN a un flanc oriental totalement désarmé. Et manque de chance, l'Orient, c'est aussi la direction de la Russie... L'adhésion de ce pays solide représente la création d'une immense muraille de 1300 km entre l'Alliance et son pire ennemi.
Enfin, cette adhésion aidera la cause de l'Ukraine : elle affaiblit beaucoup l'économie russe. En plus d'empêcher certains des très nombreux échanges russo-finlandais, la présence de l'Alliance Euro-Atlantique au bord des deux espaces maritimes les plus employés par les navires russes (la mer Baltique et l'océan Arctique) font peser la menace d'un blocus de toute l'économie occidentale... qui les couperait de leurs amis brésiliens.
Et pour mettre une pression encore plus grande sur le flanc occidental russe, des troupes de l'alliance vont être envoyées sur la frontière.
Hélas, ce que l'OTAN ne prend pas en compte, c'est qu'en plus de demander beaucoup de troupes pour la garnir, et des troupes entraînées pour survivre au froid, cette nouvelle frontière risque - selon de nombreux stratèges - de provoquer méchamment Moscou, et de faire risquer à la Finlande le même sort qu'à l'Ukraine ... le Kremlin est déjà provoqué depuis un bout de temps...
La réaction russe
On peut dire que Poutine s'est bien trompé. Il a déclenché la guerre pour éviter la présence de l'Alliance trop près de ses terres... Et à la place de ça, voilà qu'il se retrouve, pratiquement du jour au lendemain, avec 1300 km de frontière commune avec son pire ennemi, l'OTAN.
Vous l'aurez deviner, la réaction russe est plutôt explosive. Poutine n'est pas content, mais alors pas du tout, "l'alliance occidentale"' se rapprochant et constituant une "atteinte à la sécurité et aux intérêts" de la Russie. Cette dernière prévoit de placer des troupes sur sa nouvelle frontière avec l'OTAN, et si des troupes de l'Alliance s'avisaient de se placer ici... Des "contres-mesures plus fiables" seraient à prévoir.
On peut s'attendre à des problèmes. Beaucoup de problèmes, contre lesquels la Finlande ne prévoit que la construction d'un mur de trois mètres de haut surmontés de barbelés, de caméras à vision nocturne, d'éclairages et de hauts-parleurs.
Le tout pour 400 000 000 d'euros, même si un seul tank ou un seul explosif suffirait à tout détruire... Ce qui n'empêchera pas la Pologne, la Lettonie et l'Estonie d'en faire autant. Moyennant quoi la Russie s'acharne sur l'Ukraine ( pour terminer la guerre au plus vite et s'en prendre à la Finlande avec le reste d'armée que les Ukrainiens leur auront laissé ? ).
Enfin, les coups de pressions se multiplient. Sur l'île suédoise de Gotland, alors que les armées suédoises et finlandaises menaient des exercices militaires, quatre avions de chasse russes ont violé l'espace aérien suédois ; des troupes russes stationnent en bordure des pays baltes et cætera, et cætera.
La Suède, pour bientôt ?
Malgré le refus inconditionnel de la Turquie et de la Hongrie, la Suède a de bonnes chances d'intégrer l'OTAN afin de se protéger elle aussi de la Russie. Le secrétaire général de l'Alliance a bon espoir de faire changer d'avis les deux pays récalcitrants. "C'est une priorité de s'assurer que cela arrivera aussi rapidement que possible", dit-il à la presse. Et en effet, le Traité possède un article qui stipule que tout pays voulant entrer peut entrer dans cette alliance : l'article 10. C'est la politique de la "porte ouverte".... Et ce secrétaire est tenu de la respecter... sans compter que si la Suède ne rejoint pas l'OTAN bientôt, elle ne pourra peut-être plus rien rejoindre du tout, mis à part la nouvelle URSS.
Victor Orban (Chef d'Etat hongrois) ne dit tout simplement pas ses raisons, mais nous pensons - comme de nombreux autres - que ce rejet des pays scandinaves n'est autre que de la sympathie à l'égard de M.Poutine et de son gouvernement, qui, comme par hasard, est son allié.
L'autre récalcitrant, Erdogan (le président turc, récemment réélu) avance comme argument un soi-disant soutien de la Suède à des groupes de terroristes kurdes, comme le groupe PKK (le parti des travailleurs du Kurdistan), malgré le manque de preuves et la Suède qui promet des pourparlers et explications après son entrée dans l'alliance. Erdogan va jusqu'à qualifier la Suède de « pension pour des organisations terroristes ». Sympa.
Selon le premier ministre suédois Ulf Kristersson, Ankara demande en fait des choses que Stockholm « ne peut et ne veut pas lui donner », comme une extradition d'une trentaine de personnes recherchées par le président turc, ou bien la classification de certaines organisations comme criminelles scandinaves.
Alors qu'il y a peu de temps, lors d'un entretien privé avec le président finlandais Sauli Niinistö, le président turc répond gentiment "oui". Et ce revirement semble étonner le monde entier... y compris le ministre turc des affaires étrangères. Le président a donc pris cette décision seul, sans consulter ni demander son avis à personne. On sent venir la dictature.
La seule chose qui a réussi à faire bouger Erdogan, c'est un accord passé à Bruxelles, qui stipule que la Finlande et la Suède vont recommencer à vendre des armes à la Turquie - bien que les deux pays entiers s'en mordent les doigts. Surtout qu'en échange, ils n'ont reçu que le privilège d'être des pays "invités" par l'OTAN. Bref, pas protégés par l'article 5... Et toujours sous la menace d'une attaque russe.
Fenrir le Gris
Mes sources
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