Ces collages, on les voit partout. En allant au collège, à la boulangerie... Ils dénoncent les féminicides et viols sous la forme de messages écrits en grandes lettres noires et frappantes. 146 femmes assassinées par leur mari, voici les chiffres pour l'année 2019. Un bilan macabre, soit un féminicide un jour sur 2.
On a interviewé une colleuse, A., à propos de son activité militante, car finalement, on ne sait pas qui se cachent derrière ces messages que l'on connait bien... Voici son témoignage :
On vous appelle les colleuses, “celles qui font les messages contre le féminicides là”, mais avez-vous un nom officiel ?
Oui, notre mouvement s'appelle Collages Féminicides Paris, ou "CFP". En revanche, nous préférons les "colleureuses" que les "colleuses", car nous appliquons l'écriture inclusive, et qu'il n'y a pas que des femmes au sein de CFP :)
Comment est né votre projet ?
CFP est né de la nécessité de donner de la visibilité aux violences sexistes qui sont commises à l'encontre des femmes et personnes perçues comme femmes. Nous estimons que le sujet de ces violences devrait occuper
davantage le débat public, or ce n'est pas le cas. C'est pourquoi nous avons décidé de le placarder dans les rues : pour que l'ampleur de ces violences ne reste pas inconnue aux yeux de toustes.
Est-ce seulement en France ?
Le mouvement est né en France, mais aujourd'hui il a inspiré de nombreux autres pays ! (Par exemple le Brésil, le Royaume Uni, la Pologne, les Etats-Unis... et surement beaucoup d'autres !)
Pourquoi ce combat en particulier ?
Parce qu'il concerne la moitié de la population mondiale... il est urgent de s'en emparer, et d'agir pour protéger les victimes de violences sexuelles et sexistes !
Vous êtes combien en tout ?
A Paris, nous sommes plus de 1000. Des groupes existent aussi dans différentes communes de la banlieue (y compris Montreuil !), et dans toute la France. En tout, nous sommes bien plus !
J’ai lu sur le site de France Inter que vous n'acceptez pas que les hommes cisgenres se joignent à votre combat. Pourquoi ?
Nous n'acceptons pas les hommes cisgenres car nous pratiquons la mixité choisie (c'est-à-dire seulement les femmes et les personnes transgenres) : il s'agit de recréer des espaces temporaires dans lesquels les discriminations ou les violences auxquelles nous faisons face dans la vie de tous les jours ne peuvent pas avoir lieu. Or dans le combat féministe, ces discriminations et violences sont perpétrées par les hommes cisgenres. S'ils ne sont pas
présents dans nos espaces de lutte, nous en sommes protégé.e.s. La mixité choisie est un outil pour militer de façon plus sereine et plus libre.
N’importe qui (à part hommes cisgenres) peut se joindre à votre collectif ?
Oui, absolument tout le monde sauf les hommes cisgenres ! En revanche, les mineur.e.s ont un pôle dédié pour des questions de responsabilité.
Comment organise-t-on des collages ?
Il y a un travail préliminaire avant l'acte de coller : il s'agit de peindre des slogans sur les feuilles. Tout le monde peut le faire, et proposer d'aller les coller sur des conversations de groupe dédiées (auxquelles on accède une fois qu'on a rejoint le mouvement). Ensuite, des personnes se portent volontaires pour aller coller ces slogans par groupe de 4, 5, 6 personnes dans un quartier précis, et se répartissent le matériel à apporter (colle, seau, pinceau etc.)
Le couvre-feu vous ralentit-il dans vos actions ?
Oui... Avant, les collages avaient lieu plutôt en soirée. Désormais, il faut s'organiser différemment pour respecter les horaires de couvre feu, et coller en journée. Cela empêche de nombreuses personnes d'aller coller car elles ne sont pas disponibles en journée (études, travail...)
Collez-vous de jour ou de nuit ?
Avant la pandémie : plutôt de nuit (car dans l'idée, nous préférons être discret.e.s lorsque nous collons, ne pas trop être vu.e.s pour éviter des altercations potentielles).
Depuis la pandémie : plutôt de jour.
Quelles sont les réactions des gens qui vous voient coller ?
Ça dépend, nous avons de tout ! Parfois les passant.e.s sont encourageant.e.s, nous disent "bravo" ou "merci", iels sont d'accord avec nos intentions et les revendications que nous portons. D'autres fois, les passant.e.s estiment que nous dégradons l'espace public avec nos messages, et il peut y avoir des confrontations verbales (et parfois physiques, même si c'est plus rare). Iels estiment que la "propreté" des murs est plus importante que les
violences que nous dénonçons.
En cas de l’arrachement d’un message, que faites-vous ?
S'il est partiellement arraché, nous essayons de le réparer la fois d'après. S'il est totalement arraché, nous en recollons par dessus.
Combien de temps prend ce combat de votre vie ?
C'est très variable selon les militant.e.s. L'avantage des collages, c'est qu'on peut y consacrer le temps qu'on souhaite. Certaines personnes vont coller plusieurs fois par semaine, d'autres ne peuvent coller que 1 ou 2 fois par mois. Chacun.e fait selon son emploi du temps selon ses disponibilités, et y consacre le temps qu'iel souhaite. Personnellement, je colle assez peu (1 ou 2 fois par mois) car je travaille à temps plein ; mais je consacre du temps tous les jours à la gestion des réseaux sociaux de CFP (nous sommes toute une équipe à nous en occuper), c'est une autre forme d'engagement que d'aller coller, mais qui est tout aussi nécessaire. Ça permet aux collages, qui sont souvent éphémères physiquement (car arrachés) d'être immortalisés grâce aux photos que nous postons en ligne, et d'atteindre plus de monde !
Votre collage « préféré » ?
Je ne sais pas si on peut parler de "collage préféré" étant donné que la nature même des collages est de dénoncer des violences et des féminicides... Même si c'est vrai que les collages se sont diversifiés et abordent maintenant d'autres sujets, dans un esprit de convergence des luttes (justice sociale, justice climatique...).
Un petit mot pour les collégiens qui nous lisent ?
En bande organisée*... Vous connaissez la suite ! Cette phrase est réelle ! Quand des personnes s'organisent ensemble, elles ont très souvent un impact autour d'elleux.
Esther.
*"En bande organisée personne peut nous canaliser" tiré de la chanson Bande organisée du collectif 13'Organisé, août 2020.
Photo : Pauline Makoveitchoux
Super, Il faudrait que cet article soit plus lut !!!
Merci, j'ai appris beaucoup de chose...